ServerGroup Click here for the English Site
L'industrie du troisième millénaire

  in HEBDO BOURSE PLUS - 2 septembre 2010

"Lorsque la directive Services va arriver, nous serons la société qui aura un chiffre d'affaires plus élevé que les 510 commissaires-priseurs français !"

Revue de presse
PRESENTATION
SOCIETES
PARTICIPATIONS
LA BOURSE
REVUE DE PRESSE

la nouvelle économie INTERVIEWS

Le leader du marché de l'art annonce de profonds bouleversements pour ce secteur...
Thierry Ehrmann, fondateur d'Artprice : "Lorsque la directive Services va arriver, nous serons la société qui aura un chiffre d'affaires plus élevé que les 510 commissaires-priseurs français !"

Les entretiens avec Thierry Ehrmann sont toujours passionnants. Artprice est le leader mondial des banques de données sur la cotation et les indices de l'art avec plus de 25 millions d'indices et résultats de ventes couvrant 405 000 artistes. Artprice Images permet un accès illimité au plus grand fonds du marché de l'art au monde, une bibliothèque constituée de 108 millions d'images et gravures d'oeuvres d'art de 1700 à nos jours commentées par ses historiens. Artprice enrichit en permanence ses banques de données en provenance de 3 600 maisons de ventes et publie en continu les tendances du marché de l'art pour les principales agences et 6 300 titres de presse dans le monde. Artprice diffuse auprès de ses 1 300 000 membres ses annonces normalisées, qui constituent à présent la première place de marché mondiale pour acheter et vendre des oeuvres d'art.
Thierry Ehrmann rappelle que la France a l'obligation de mettre en oeuvre la directive Services et que l'application de celle-ci entraînera un profond bouleversement du marché en France.


L'Hebdo-Bourseplus :
Tous les professionnels de l'art connaissent Artprice, qui est devenu le Google du monde de l'art. Comment vous êtes-vous développés au cours de ces dernières années ?
Thierry Ehrmann :
Artprice a eu un développement très proche de Google Dès les années 90, nous avons acquis tous les plus grands fonds éditonaux dans le monde, sur plus de 12 pays, pour constituer la plus grande base de données mondiale sur le marché de l'art. Nous
avons, donc normalisé ce marché, avec 1 800 000 artistes, qui ont chacun un code unique, comme un Sicovam en Bourse, et près de 108 millions d'oeuvres d'art qui ont chacune un numéro de Siret. Chaque oeuvre d'art est désormais unique, elle est référencée,et on en connaît la traçabilité. Dans un premier temps, nous avons vendu ces abonnements. Nous pensions arriver, dans les meilleurs moments, à 50 000 abonnés et nous sommes aujourd'hui à 1 300 000 abonnés. C'est une idée que personne n'aurait pu avoir il y a dix ans ' Même au moment de l'introduction en bourse, en 1999),je disais que nous arriverions au milliard
d'internautes en 2003, or nous sommes à 2,4 milliards... Effectivement, le monde s'est dematérialisé, un Nouveau Monde est né, et tous nos clients, qui ont en moyenne entre 40 et 50 ans, sont aujourd'hui tout le temps sur Internet. Ensuite, nous avons eu l'idée de faire une place de marché normalisée. Elle a explosé, nous avons démarré avec 1,2 milliard d'offres
en 2005, pour terminer l'année dernière à 5,8 milliards d'offres de présentation. Nous avons 30% de ventes réalisées, ce qui fait de nous, lorsque la directive Services va arriver, la société qui aura un chiffre d'affaires plus élevé que les 510 commissaires-priseurs français.

Cette base de données de l'art est unique au monde...
Oui, et chacune des bases de données que nous possédons fait l'objet d'une protection. Même si quelqu'un mettait en face 500 millions de dollars, même le plus honnêtement du monde, il ne pourrait pas atteindre notre niveau.

Pourtant, votre cours de bourse semble stagner. Que diriez-vous à vos actionnaires ?
Nous avons eu l'une des introductions en bourse les plus spectaculaires, avec 108 fois la demande. Je crois qu'aujourd'hui, les gens sont perplexes dans un Occident qui se délite peu à peu et ils ont des difficultés d appréhension. Artprice est cotée sur le marché
réglementé, donc produit une information très abondante. Je viens d'avoir un document de référence où il y a plus de 274 pages et où tout est dit. Ceci dit, mes propos ne sont pas narquois... J'entends
très souvent des gens me dire : "Pourriez-vous me donner les prévisions de bourse sur cinq ans ?" Les gens confondent la bourse avec le rouge et le noir du casino. Dans la bourse, il faut faire preuve de perspicacité, il faut sentir... Nous sommes sans doute la société qui communique le plus sur le marché réglementé. Nous donnons une somme d'informations démesurée et, si les gens veulent bien s'en donner la peine, ils pourront tout comprendre et modéliser.
Maintenant, si les gens n'achètent que des résultats, des couleurs ou des pressentiments, il faut qu'ils aillent sur le CAC 40... Mais il n'a pas fait toutes ses preuves ces dernières années ! II faut réinventer
une bourse. Nous avons 18 000 actionnaires, ce qui est quand même rare pour une société comme la nôtre. II faut que les gens remontent leurs manches, nous avons des actionnaires qui doivent
chercher au fond de la mine les vrais raisonnements. Nous avons 65% de nos actionnaires qui sont basés hors de France.

Cela fait quelques années que vous évoquez la situation en Chine. Aujourd'hui, c'est clairement une priorité pour Artprice...
Avec la plus grande crise économique, la plus grande depuis 29, nous connaissons I'effondrement des grands fondamentaux occidentaux. J'ai toujours dit que la Chine était une valeur sûre pour des raisons précises. Depuis la nuit des temps, le marché de l'art
est un marché d'enjeux, de pouvoir et de politique. Jamais la Chine, dans sa conquête du monde, qui date depuis plus d'un millénaire, ne pourrait imaginer une seule seconde perdre la face avec le marché
de l'art. La Chine a impitoyablement écrasé la France et elle sera numéro deux mondial en 2015, avant de devenir numéro un aux alentours de 2017. La Chine est un monstre qui avance et qui a parfaitement compris que le marché de l'art est un enjeu vital et
politique. C'est sans doute très faible par rapport au militaire ou à la bionique, mais n'oublions pas que lors d'une guerre, on considère qu'elle est acquise et réalisée lorsque I'on a pris l'art de l'autre...

D'ailleurs, après une guerre, ce qui reste c'est l'art ou l'or...
Exactement. C'est la relique barbare .. Dans la relique barbare, il y a effectivement l'or. Actuellement, nous sommes la société française qui a le plus de requêtes en Chine. J'invite vos lecteurs à aller voir le site d'Artprice en chinois, où nous avons traduit 25 millions de pages en idéogrammes. Nous avons été les premiers en Europe à signer un accord-cadre avec Google, de même avec Baidu, qui est aujourd'hui devant Google sur nos requêtes... Pour la première
fois, en juin dernier, nous avons vu Baidu écraser Google en nombre de requêtes par jour. Les chiffres le prouvent je pense que Google a réalisé quelque chose que les humains, notamment les Européens,
ne comprendront malheureusement que dans trois ou quatre ans. Au début de l'année 2010, je n'aurais jamais imaginé voir les courbes de Baidu écraser Google.

C'est un message d'optimisme, finalement...
C'est comme l'or. Je faisais rire beaucoup de gens, notamment des grands banquiers, en expliquant que l'or va mécaniquement monter parce que c'est la dernière valeur. Aujourd'hui, l'or a été abandonné par les dentistes et par les industriels, et l'or n'a plus de valeur au sens de son implication industrielle Mais on revient, comme depuis la nuit des temps, à quelque chose qui est intangible Je dis que le marche de l'art est la première valeur fiduciaire au monde. Avant que l'homme ne frappe monnaie, les oeuvres d'art constituaient bien un échange.

Vous venez de lancer votre application pour l'iPad. Justement, qu'en pensez-vous ?
L'iPhone m'ennuyait, parce que ce n'est pas avec un timbre-poste que l'on peut se promener sur Internet. Pour autant, moi qui suis un amoureux de mes deux heures de presse du matin, j'ai vu arriver l'iPad avec un regard très critique. Or, je suis maintenant en permanence sur l'iPad. Je reconnais que le contrat de lecture, le confort, est une véritable révolution. J'ai eu des propos relativement durs avec mon équipe informatique, qui m'a rappelé que les tablettes ont démarré avec Microsoft en 2003. Quid de l'iPad ? C'est un ensemble de données, qui viennent chercher l'individu, et qui fait que l'on se trouve dans un choc culturel qui est cent fois plus fort qu'un choc technologique. Aujourd'hui, l'iPad permet d'accéder au savoir de manière universelle. On ne se rend pas compte du choc culturel. C'est comme pour Internet... C'est avec du recul que l'on comprendra que l'iPad, par son contrat de lecture, est une révolution.

Est-ce l'iPad qui est une révolution, ou la tablette tactile ?
Non, c'est l'Ipad. Je n'ai pas eu besoin d'ouvrir le mode d'emploi de l'Ipad. A contrario, le moindre téléphone, si peu sophistiqué soit-il, est livré avec un mode d'emploi de 220 pages qui m'ennuie profondément. J'ai refilé ce téléphone Sony à mon fils aîné, qui lui-même n'en a pas voulu et l'a refilé à une autre personne. Cela se passe de tout commentaire. Cela veut donc dire que le concept, le marketing, l'ergonomie, c'est-à-dire le degré d'humanité entre l'homme et l'objet, est très supérieur à la technologie. II est possible que l'iPad soit moins efficace ou moins rapide que les tablettes plus perfectionnées. Pour autant, l'iPad a une convivialité unique. L'humain est humain et il a besoin d'avoir des repères. II a besoin d'avoir un repère dans le Vieux Monde. Faisons toujours très attention aux bureaux d'études : il y a la réalité qui est basique et c'est la raison pour laquelle l'iPad est aujourd'hui le plus gros succès commercial de tous les temps.

II y a un phénomène très particulier : vos actionnaires sont aussi des fans...
C'est vrai, nous avons un rapport très affectif avec nos actionnaires. Pour moi, que I'actionnaire possède 10, 80 000 ou 200 000 actions, il y a le même degré de partage et d'équité. C'est une forme de capitalisme inversé. Chacun est convié et nous avons des relations assez passionnantes. Il m'arrive d'avoir des réunions avec des actionnaires où ils me donnent plus d'informations et de pistes, que ]e ne leur en amène moi-même. Artprice est avant toute une machine de propagande cotée en bourse, c'est une machine de guerre impitoyable qui ouvre le marché de l'art au plus grand nombre, je crois que nous n'en sommes
qu'au début. Le week-end dernier, je me disais que nous franchirions vraisemblablement la barre des 10 millions d'abonnés à l'horizon 2015. Il y a 70 millions de gens qui possèdent un patrimoine, hors patrimoine professionnel, supérieur à 1 million de dollars
dans le monde. Ce sont des gens qui, à 96%, possèdent des oeuvres d'art.

Le plus gros morceau, c'est la révolution qui s'annonce sur le marché de l'art en France, Vous êtes en train de forcer le gouvernement français à respecter la législation européenne, à savoir la directive Bolkestein sur les Services...
La directive sur les Services dit que désormais les ventes aux enchères, qui font I'objet d'un monopole des commissaires-priseurs depuis 1525, doivent être ouvertes. Il y a eu cette réforme qui a été un vaste échec. Cette réforme qui se voulait ouverte a I'Europe a fait en
sorte que les maisons de ventes étrangères sont obligées de quémander l'autorisation de faire une vente aux enchères et elles ont parfois le feu vert seulement quelques heures avant la vente. On ne peut pas miser des millions d'euros sur quelque chose qui est totalement aléatoire ! Le Conseil des ventes volontaires a très nettement conclu que cette réforme n'était
pas une réforme acceptable pour l'Europe. Il y a un corps défendant d'un tout petit noyau dur de commissaires-priseurs qui s acharnent. On oublie le scandale de Drouot et, comme par hasard, on retrouve ces mêmes personnes dans Drouot. Il y a un noyau dur qui, envers et contre tout, s'imagine que le monopole demeure cinq cents ans après... Cinq cents ans de monopole, cela crée quand même des addictions.

La France doit répondre à Bruxelles sur cette question avant le 26 août...
Je rappelle d'abord que la France était numéro un mondial dans les années 50. Elle est devenue l'année dernière numéro quatre derrière la Chine, qui l'a littéralement expulsée du podium. En 2015, nous serons vraisemblablement numéro six ou sept... La France est en chute libre et nous ne devons notre pénible place de quatrième qu'à ce que l'on appelle les ventes non cataloguées, c'est-à-dire les ventes au tout-venant. La France, qui était le centre de l'art mondial dans les années 50, est aujouid'hui la lanterne rouge des dix grands pays du marché de I'art. Un petit nombre de commissaires-priseurs essaient de préserver leurs
pouvoirs. Nous avons d'ailleurs saisi les autorités de la concurrence, avec des plaintes au pénal, sur le fait de laminer un marché. Certaines pièces, qui seront publiées dans les prochaines semaines, auront des retombées assez dures.

Si la France ne respecte pas cette directive européenne, les amendes seront extrêmement lourdes...
Je vous rejoins, les amendes se chiffrent souvent en milliards d'euros. Les décisions de la Cour européenne de justice sont exécutables de plein droit et applicables aux pays des Ftats membres Autrement dit, si la France se fait condamner par la Cour européenne de justice,
elle devra appliquer ces décisions en bonne et due forme. Beaucoup de choses vont changer, c'est le sens de l'histoire.

C'est un peu comme si jusqu'à présent Artprice avait le catalogue de La Redoute avec uniquement les photos : avec cette évolution, le jour où cette directive sera respectée, vous allez pouvoir vendre en ligne...
C'est un peu cela. Avec 1,8 milliards de transactions réalisées et vendues, pour le moment nous ne percevons rien, mais, demain, c'est un boulevard qui s'ouvre devant nous. Selon le Conseil des ventes volontaires, qui fait un excellent travail, nous sommes en intermédiation à 37,5... Nos premiers clients seront du reste les commissaires-priseurs qui n'ont pas les moyens de s'offrir une place de marché normalisée et des salles de machines car le ticket d'entrée, en dehors de I'espace temps, se situera entre 80 et 120 millions d'euros... Et je ne parle même pas des questions de protection intellectuelle !

 

propos recueillis par Yannick Urrien

copyright ©2010 Hebdo Bourse Plus